17 avril 2021

On revient au début

La gestion de l’eau en France

Les entreprises françaises de gestion de l’eau et des déchets Suez et Veolia ont annoncé lundi être parvenues à un accord de principe pour leur rapprochement. Suez s’opposait depuis l’an dernier aux offres de rachat de Veolia. Cette opération intervient alors que la gestion de l’eau en France, fortement déléguée par les communes à des opérateurs privés dans les années 1990, connaît une « remunicipalisation » depuis quelques années.


À l’origine

Au XIXe siècle, l’industrialisation et la persistance d’épidémies dans les grandes villes font de la gestion de l’eau un sujet de préoccupation majeur. Les communes, qui en sont chargées depuis la Révolution française, se dotent progressivement de réseaux de distribution d’eau salubre à partir de la moitié du XIXe siècle. Se développent un service public, qui dessert gratuitement les fontaines publiques, et un service privé et payant d’eau à domicile. Bénéficier de l’eau à domicile est toutefois le privilège d’une minorité aisée. Les communes ont recours à des compagnies privées de distribution d’eau, auxquelles elles confient le service à domicile, en échange de quoi ces entreprises participent au financement des fontaines publiques. Les premières sociétés créées sont la Compagnie générale des eaux en 1853 et la Lyonnaise des eaux en 1880. Les communes rurales commencent à s’équiper dans les années 1930. Le raccordement sera lent : il faut attendre la fin des années 1980 pour que la quasi-totalité des Français bénéficient de l’eau potable à domicile.


Les dates clés

1964

La loi de 1964 sur l’eau est le premier texte qui organise la gestion de l’eau à l’échelle nationale, alors que sa consommation progresse et que le niveau de pollution s’accroît avec l’urbanisation et le développement de l’industrie et de l’agriculture intensive. La loi organise la gestion de l’eau autour de six grands bassins fluviaux en métropole (voir la carte). Elle crée une agence de l’eau pour chaque bassin, chargée de percevoir des redevances auprès des personnes publiques ou privées, dès lors qu’elles prélèvent de l’eau ou la polluent, et de financer ainsi la préservation de la ressource et la lutte contre la pollution. Les redevances permettent par exemple aux collectivités de financer les stations d’épuration des eaux usées. Alors que la France ne comptait que 300 stations d’épuration avant l’adoption de la loi de 1964, plus de 2 100 stations étaient recensées en 1970 et 11 500 en 1990, selon deux rapports parlementaires de 2003.

1997

En 1997, la Lyonnaise des eaux et la Compagnie financière de Suez, une société française qui a exploité la concession du canal égyptien de Suez, fusionnent et deviennent le groupe Suez-Lyonnaise des eaux (rebaptisé Suez en 2001). Le groupe recentre ses activités sur les services aux collectivités, dont la gestion de l’eau. Il concurrence ainsi sur le marché la Compagnie générale des eaux (dont la filiale consacrée à l’environnement deviendra Veolia) et Saur. En 1995, 75 % de la population, soit plus de 46 millions d’habitants, sont approvisionnés en eau par un opérateur privé, la Compagnie générale des eaux alimentant à elle seule 25 millions de personnes, rapporte Christelle Pezon, chercheuse dans le domaine de l’eau potable, dans sa thèse en 2000. Les communes (ou les intercommunalités), auxquelles incombent la distribution de l’eau potable et l’assainissement et qui sont propriétaires des infrastructures, peuvent choisir d’exploiter le service selon plusieurs modes, dont la régie – en le gérant directement – et la délégation de service public – en le confiant à un opérateur privé.

2000

La ville de Grenoble vote en 2000 le retour en régie du service de l’eau et de l’assainissement, qui était géré depuis 1989 par une filiale de la Lyonnaise des eaux. Cette décision fait suite à une affaire de corruption impliquant l’opérateur et le maire de l’époque, Alain Carignon, pour laquelle il a été condamné par la justice. Plusieurs villes ont fait le choix d’un retour à la régie, comme Paris, Brest et Nice, dans les années 2010. Cette « remunicipalisation » de la gestion de l’eau intervient après des constatations de mauvais entretien des réseaux ou d’écarts de prix entre les deux modes de gestion. En 2018, seuls 31 % des services publics d’eau potable étaient gérés par délégation, mais ils approvisionnaient une majorité (57 %) de la population, selon un rapport publié ce mois-ci par l’Office français de la biodiversité, un établissement public.

2015

Le Conseil constitutionnel, l’instance chargée de contrôler la conformité des lois à la Constitution, rend une décision en mai 2015 affirmant que l’eau « répond à un besoin essentiel de la personne » et « qu’aucune personne en situation de précarité » ne peut en être privée. Il avait été saisi après une demande du distributeur Saur, assigné en justice pour avoir coupé l’eau à un client entre avril 2013 et septembre 2014 pour un impayé de près de 280 euros. Saur contestait l’interdiction, introduite par une loi de 2013, pour les distributeurs d’eau de procéder à des coupures dans une résidence principale en cas de défaut de paiement des factures, et ce tout au long de l’année. Le Conseil constitutionnel ayant validé la constitutionnalité de la loi, Saur est condamné dans cette affaire en octobre 2015. Plusieurs décisions de justice rendues par la suite ont statué également sur l’interdiction de toute réduction du débit d’eau par les distributeurs.


Le concept

En France, l’eau qui alimente les robinets est captée majoritairement dans les nappes souterraines ou dans des plans et cours d’eau. Cette eau est rendue potable au sein d’une usine de potabilisation à travers différents procédés, dont la filtration et la désinfection. L’eau est testée pour vérifier que les teneurs de diverses substances (plomb, arsenic, pesticides, etc.) sont inférieures aux normes sanitaires établies par l’UE. L’eau potable est ensuite stockée, souvent dans des châteaux d’eau, afin de disposer de réserves en cas de variations de la demande. L’eau potable est acheminée jusqu’aux usagers grâce à un réseau de canalisations. Environ 20 % de l’eau potable est perdue lors de sa distribution à cause de fuites, selon Eau de France, le service public de l’information sur l’eau. Les eaux usées, versées au « tout-à-l’égout », sont assainies dans une station d’épuration, avant d’être rejetées, le plus souvent dans des rivières. En 2018, la consommation moyenne d’eau potable était de 148 litres par jour et par habitant, selon l’Office français de la biodiversité.